Les Experts Compétences se remobilisent après le décès de leur expert juridique. Ils jettent un regard sur la situation de la Formation Professionnelle Continue en cette fin 2025 au milieu de la débâcle parlementaire.
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- Les normes en formation VS le secteur agricole
- La crise des normes en formation et ses impacts
- OF : Retour sur le poids des normes
- A qui profitent toutes ces normes ?
- Crise budgétaire : A qui profite l’excès de normes ?
- Les 2 maux qui tuent la formation professionnelle
- Instabilité, normes : comment avancer malgré tout ?
- La FPC glisse sans bruit vers une crise structurelle aux effets profonds.
Depuis plusieurs mois, un phénomène inquiétant traverse la formation professionnelle continue : une contraction progressive et silencieuse de l’activité dans l’ensemble de la filière. Contrairement à d’autres secteurs économiques touchés par les crises successives – restauration, bâtiment, commerce – le monde de la formation demeure largement absent des débats publics. Pourtant, les signaux d’alerte s’accumulent.
la FPC glisse sans bruit vers une crise structurelle aux effets profonds
Le dernier baromètre sectoriel des Acteurs de la Compétence pour 2025 met en lumière des tendances convergentes :
- Plus d’un organisme de formation sur deux anticipe une baisse de chiffre d’affaires.
- Un tiers suspend ou annule ses investissements.
- Plus d’un quart enregistre une réduction d’effectifs.
- Les difficultés de trésorerie deviennent structurelles pour une part notable des acteurs.
Ces chiffres illustrent une réalité désormais partagée : la formation professionnelle, pourtant pilier des politiques d’emploi et de compétences, entre dans une phase de fragilisation durable.
Une dépendance forte à la commande publique et aux financements administrés
La formation professionnelle repose en grande partie sur un modèle administré :
- Financements publics régionaux (PRIC, marchés de formation, dispositifs de reconversion)
- Dispositifs nationaux (CPF, financement de l’apprentissage)
- Intermédiation par les Opco
- Accréditations et autorisations multiples (Qualiopi, RNCP, RS, appels d’offres)
Cette dépendance structurelle crée un paradoxe :
Le secteur est essentiel à la politique d’emploi mais entièrement soumis aux choix budgétaires et réglementaires de la sphère publique.
Or, ces dernières années ont vu se conjuguer :
- La baisse massive des achats publics de formation, notamment dans les régions,
- La refonte permanente des règles de financement,
- Des arbitrages budgétaires défavorables à l’ingénierie longue,
- Une priorité donnée aux dispositifs courts, quantifiés et immédiatement évaluables, souvent au détriment des parcours complets d’insertion professionnelle.
Cette évolution progressive a fragilisé les modèles économiques des OF, en particulier les structures indépendantes, de taille intermédiaire, souvent les plus innovantes pédagogiquement.
Le poids croissant des normes : la qualité devenue machine administrative
La mise en place de Qualiopi devait constituer un levier de professionnalisation du secteur. Dans l’esprit du décret de 2019, il s’agissait de :
- Standardiser la qualité
- Sécuriser l’utilisation des fonds publics et mutualisés
- Renforcer la lisibilité pour les bénéficiaires
Cependant, dans sa mise en œuvre opérationnelle, la certification est progressivement devenue :
- Un système documentaire hypertrophié,
- Une logique de contrôle continu,
- Un empilement de procédures internes sans lien direct avec la réalité pédagogique.
De nombreux OF témoignent :
- D’un temps administratif devenu disproportionné,
- D’une dilution des fonctions pédagogiques au profit de la gestion de conformité,
- D’un déport massif des ressources humaines vers le pilotage qualité, au détriment du développement de nouvelles offres ou de l’accompagnement des bénéficiaires.
La qualité est devenue un objectif bureaucratique mesuré par la preuve écrite, plutôt que par l’impact réel sur l’insertion professionnelle ou l’acquisition des compétences.
CPF : de levier d’accès à outil sous surveillance permanente
Initialement conçu comme un instrument d’émancipation individuelle permettant aux actifs de choisir librement leur parcours, le Compte Personnel de Formation a subi une évolution majeure :
- Contrôles renforcés et ciblages multiples
- Conditions d’éligibilité continuellement ajustées
- Restrictions interprétatives changeantes
- Procédures de validation alourdies
Résultat :
- Un ralentissement net des inscriptions,
- Une défiance croissante des OF face aux risques de rejet ou de suspension,
- Une complexification administrative décourageant certains bénéficiaires.
Le CPF, autrefois moteur de dynamisation du marché privé de la formation, devient aujourd’hui un outil de financement incertain, incitant les organismes à limiter leur exposition commerciale.
L’apprentissage sous tension
Vitrine statistique de la réussite des politiques emploi-formation, l’apprentissage subit à son tour un violent ajustement budgétaire :
- Révision des niveaux de prise en charge (NPEC)
- Diminution des aides aux employeurs
- Augmentation du reste à charge pour certaines formations
- Charges administratives accrues pour les CFA
Les conséquences sont immédiates :
- Marges structurellement comprimées
- Ralentissement des ouvertures de sections
- Rationalisation des coûts éducatifs
La priorité donnée aux volumes au détriment des contenus met en difficulté de nombreux organismes souhaitant maintenir des standards pédagogiques élevés.
Un secteur incapable de porter une voix collective
Malgré ce contexte, les revendications publiques restent timides. Plusieurs facteurs expliquent ce silence :
1. Un éclatement institutionnel
Le secteur regroupe :
- Des milliers d’OF de tailles hétérogènes
- Des CFA rattachés à des branches ou à des collectivités
- Des acteurs privés lucratifs et associatifs
- Des organismes parapublics
Cette fragmentation rend toute parole collective complexe.
2. Une dépendance financière directe à l’État
La majorité des acteurs dépendant des dispositifs publics, la critique devient risquée :
- Peur de perdre des marchés
- Crainte d’une visibilité négative auprès des autorités de gestion
- Prudence institutionnelle
3. Une culture historique de service
Les professionnels de la formation sont des praticiens de terrain, orientés accompagnement :
- Formateurs
- Conseillers
- Ingénieurs pédagogiques
Leur vocation reste d’aider à grandir plutôt que de se battre médiatiquement. Cette posture humaniste, respectable, se heurte aux réalités d’une économie administrée.
Une crise systémique plus qu’une crise conjoncturelle
La situation actuelle dépasse la simple contraction de budget :
Il s’agit d’une crise de modèle :
- Trop de normes pour soutenir l’agilité
- Trop de contrôles pour favoriser l’innovation
- Trop peu de visibilité budgétaire pour consolider les investissements long terme
L’enjeu central devient :
Comment concilier sécurisation des fonds publics
et développement d’une ingéniérie de compétences réellement performante ?
Réarmer la filière formation : pistes de sortie
Pour éviter l’érosion continue du tissu des OF, plusieurs leviers peuvent être mobilisés :
1. Repenser Qualiopi sur l’impact réel
Mesurer la qualité par :
- Le placement emploi
- La progression des compétences
- Le taux de satisfaction bénéficiaires long terme
- et non par la volumétrie documentaire.
2. Stabiliser les règles du CPF
Instaurer :
- Des cycles réglementaires pluriannuels
- Une sécurisation accrues des remboursements
Une simplification des référentiels d’éligibilité
3. Revaloriser l’ingénierie métier
- Les financeurs doivent reconnaître :
- Le coût réel de la conception pédagogique
- L’accompagnement individualisé
- Les évaluations formatives de qualité
4. Construire une représentation sectorielle forte
Créer un front commun pérenne appuyé sur :
- Les branches
- Les réseaux d’OF
- Les acteurs territoriaux
- Les partenaires sociaux
L’enjeu dépasse la survie d’un secteur
L’affaiblissement de la formation professionnelle ne concerne pas uniquement les organismes. Il engage directement la capacité nationale à :
- Préparer les reconversions,
- Adapter les compétences aux transitions industrielles,
- Sécuriser les parcours professionnels.
Sans un redressement structurel, la France risque de voir s’assécher l’un de ses principaux vecteurs d’adaptation économique.
La formation professionnelle n’est pas un coût à réguler : c’est un investissement stratégique à protéger.
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SOURCES
- Baromètre 2025 — Les Acteurs de la Compétence
- France Compétences — Rapports sur la régulation financière des dispositifs
- Ministère du Travail — Bilan des politiques de formation
- Cour des comptes — Notes sur la gouvernance du CPF et de l’apprentissage
- DGEFP — Données marchés régionaux de formation
- Décrets et arrêtés relatifs à la certification Qualiopi (2019–2023)